Tantrisme et néotantrisme – Auteur : Georg Feuerstein
Source : http://santosha.com/moksha/tantrism1.html
Traduction : Stéphane Richer, Centre Summum

Le tantrisme est le terme général par lequel les étudiants Occidentaux de la spiritualité de l’Inde désignent un type particulier d’enseignement dans l’Hindouisme et le Bouddhisme. L’essence de cet enseignement ne peut pas être aisément synthétisé parce que le Tantrisme comprend un très large spectre de croyances et de pratiques. Cependant, pour offrir une description simplifiée, nous pouvons dire que la plupart des écoles de Tantrisme incluent les caractéristiques suivantes :

  1. Initiation et apprentissage spirituel avec un adepte qualifié (gourou) ;
  2. La croyance que l’esprit et la matière sont les manifestations d’une plus haute réalité spirituelle, qui est notre vraie et omniprésente nature ;
  3. La croyance que la Réalité spirituelle (le nirvana) n’est pas quelque chose de distinct du royaume empirique de l’existence (samsara), mais inhérente en lui ;
  4. La croyance en la possibilité de réaliser l’illumination (autoréalisation) permanente ou la libération tandis que nous sommes dans notre état d’être incarné ;
  5. Le but de réaliser la libération/illumination au moyen de l’éveil de la puissance spirituelle – appelée Kundalini-shakti – endormie dans le corps-esprit humain ;
  6. La croyance que nous sommes nés plusieurs fois et que ce cycle est interrompu seulement au moment de l’illumination et que la chaîne de renaissance est déterminée par la qualité morale de nos vies par l’action de karma ;
  7. L’idée que nous vivons à présent dans l’âge sombre (Kali-Yuga) et que donc nous devrions savoir sagement utiliser chaque atout possible sur le chemin spirituel, y compris les pratiques rejetées selon la moralité conventionnelle ;
  8. La croyance en l’efficacité magique du rituel, basé sur la notion métaphysique que le microcosme (c’est-à-dire, l’être humain) est un reflet fidèle du macrocosme (c’est-à-dire, l’univers) ;
  9. La reconnaissance que l’illumination spirituelle est accompagnée par, ou donne accès à, un large éventail de pouvoirs psychiques et un certain intérêt dans l’exploitation de ces pouvoirs pour des buts tant spirituels que matériels ;
  10. La compréhension que l’énergie sexuelle est un réservoir important d’énergie qui devrait être utilisée à bon escient pour stimuler le processus spirituel plutôt que de le bloquer par le relâchement orgasmique ;
  11. Une emphase sur l’expérience immédiate et l’expérimentation hardie plutôt que de recourir aux connaissances acquises.

Le tantrisme est donc une tradition occulte ou ésotérique qui comprend de mystérieuses disciplines. Cela signifie que ses enseignements sont secrets ou “cachés” et ne peuvent pas, ou du moins ne devraient pas, être divulgués au non-initié. En effet, traditionnellement, ceux qui étaient initiés au tantrisme devaient jurer le secret. Ainsi, dans le Kularnava-Tantra (II.6), une œuvre Sanscrite médiévale célèbre sur le Tantrisme, nous trouvons le vers suivant :

Vous devez garder ceci secret et le communiquer à personne, sauf à un dévot et un disciple ; autrement, ceci causera leur chute. 1 
Ces mots ont été prononcés par le Dieu Shiva, qui est l’auteur divin de ce texte et de beaucoup d’autres Tantras. Ils ont été adressés à sa conjointe céleste Devi, la Déesse. Voir Shiva lui-même imposer à la Déesse de dissimuler soigneusement l’enseignement Tantrique avait comme but de souligner aux étudiants l’importance superlative d’en garder le secret.
Même si cette attitude a de temps en temps engendré un certain élitisme snob dans des cercles Tantriques, elle faisait quand même sens. Puisque sans raison morale, préparation émotionnelle, mentale et spirituelle, le Tantrisme peut s’avérer être un piège mortel. Ses méthodes sont puissantes et peuvent se retourner contre ceux qui sont insuffisamment préparés.
Beaucoup d’enseignements Tantriques n’ont jamais été même mis par écrit. Ils ont été transmis par le bouche à oreille – du gourou au disciple dûment qualifié. Parfois ils ont été chuchotés dans l’oreille de l’étudiant avec la demande du secret absolu. Selon quelques écritures saintes, même les dieux doivent être exclus de la connaissance secrète de Tantrisme.
Le néotantrisme et la vulgarisation des enseignements ésotériques

L’attitude secrète du Tantrisme traditionnel se tient en nette contradiction avec le néotantrisme de notre temps, qui a tendance à être quelque peu trop démocratique sans faire de distinction. Par exemple, les auteurs d’un livre populaire sur le Yoga Tantrique commencent leurs instructions, à propos du départ d’un groupe Tantrique, avec la déclaration que la croyance en l’utilité de gourous “est devenue désuète il y a des siècles avec l’invention de l’impression.”2 Ils annoncent leur livre comme étant “le gourou parfait.” Nous pouvons bien mettre en doute, comme j’ai fait dans une autre publication, la fonction et la convenance de gourous autocratiques à notre ère. Cependant, nous ne devrions pas écarter l’autorité spirituelle avec tant de désinvolture et la remplacer par des livres. Au lieu de cela, nous ferions bien de tenir compte de l’observation suivante tirée du Kularnava-Tantra (I.96-97) :

Ignorant de la Vérité en lui, le sot s’est amouraché des livres, 
comme le berger stupide qui cherche une chèvre dans le puits
quand elle est dans son enclos.
La connaissance verbale est inutile pour surmonter les illusions du monde,
comme l'obscurité ne cesse d'exister simplement en parlant d'une lampe.

Mais ce danger n’est pas limité aux écritures du Tantrisme. Il est plutôt omniprésent dans la culture des livres de poche occidentaux populaires. La littérature facilement disponible sur le Bouddhisme, le Taoïsme et d’autres formes de spiritualité a créé un excès de connaissance à propos d’autres cultures et religions. Il a certainement augmenté le niveau de tolérance idéologique parmi la masse instruite. Cependant, la large dissémination de connaissances jadis sacrées et difficile à obtenir a aussi provoqué la présomption suffisante que nous connaissons tout ; que nous sommes plus avancés dans notre quête spirituelle que nous ne le sommes vraiment ; que nous n’avons pas à subir les épreuves difficiles de toute une vie de transformation spirituelle. Le regretté Chungyam Trungpa l’a bien exprimé :

Nos vastes collections de connaissances et d'expérience ne sont qu’une 
des manifestations de l'ego, des qualités grandioses de l'ego.
Nous les affichons au monde et, de cette manière, nous nous rassurons
que nous existons, sûrs et sécurisés, en tant que personnes "spirituelles".
Mais nous avons simplement créé une boutique, un magasin d’antiquités. 3
Contrairement à la croyance populaire, il n’y a pas de raccourci pour l’autoréalisation spirituelle. Le bonheur et la liberté sont gagnés seulement par la conquête de soi. Aucune drogue, ni gadgets électroniques, ni sophistication sexuelle ne peuvent accomplir pour nous la noble tâche de la transcendance de soi.
Parce que le Tantrisme popularisé est gentil avec l’ego-personnalité, il court le risque de dégénérer en magie noire. Il est vrai de dire que le Tantrisme est fondé sur une attitude magique envers le monde. Ses pratiques opèrent sur la base des lois de similitude et de correspondance : “Tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas – tout ce qui est dedans est aussi dehors.” Cependant, la magie noire est l’exploitation sans scrupules de la connexion magique entre les choses pour des fins égoïstes.
Alors que le Tantrisme véritable cherche à fournir des voies pour dépasser le soi, ou l’ego-personnalité, la magie noire est toujours une tentative de satisfaire les désirs égoïques. Souvent ceci implique d’exercer son pouvoir sur d’autres et de détruire leur espoir au bonheur. Le magicien noir, Tantrique ou autre, n’a seulement que sa propre autosatisfaction à cœur. Aucune autre personne ne compte. Bien sûr, ils échouent de manière prévisible à atteindre la liberté et le grand bonheur promis dans les écritures saintes Tantriques.

L’histoire du Tantrisme en Inde et les pays Himalayens a eu sa part d’échec moral. L’Érudit indien Brajamadhava Bhattacharya, qui a été initié dans le Tantrisme de la main gauche à un jeune âge, fait remarquer :

De toxicomanes à alcooliques, de pervers à maniaques, tous ouvrent leurs clubs 
sous le parapluie non défini du yoga et du tantra.
Le Tantrisme est devenu une évasion facile pour le dégénéré.
Mais le véritable Tantra s'engage lui-même, corps et âme, à la soumission
de toutes les émotions sensuelles et à la cause subjective de découvrir
la vraie identité du Soi 4
Orgasme et la Poursuite de Bonheur
Le péril de l’égoïsme dans la version populaire du Tantrisme est le plus aisément apparent dans l’attitude de certains néotantristes envers l’orgasme. Contrairement à l’avis de feu Swami Agehananda Bharati (un professeur américain d’anthropologie né en Autriche), le Tantrisme Bouddhiste et Hindou suggèrent généralement aux praticiens masculins d’arrêter le sperme avec un effort du souffle et de l’esprit5.
Autrement dit, l’orgasme ne fait pas partie du répertoire Tantrique.
Comme les Tantras Bouddhistes le disent : “l’esprit d’illumination” (bodhi-citta) ne doit pas être déchargé. C’est-à-dire le semen est mis au même niveau que l’impulsion vers l’illumination. L’orgasme ne mène pas au bonheur, simplement aux sensations agréables. Le praticien sérieux doit contourner l’orgasme.
Diverses techniques sont recommandées pour accomplir ceci, principalement pour les hommes, puisqu’ils ont tendance à arriver à l’orgasme plus rapidement. À part une grande autodiscipline et une maîtrise sur leurs réactions physiques, on conseille aux hommes d’appliquer une pression sur la région du périnée pour empêcher l’éjaculation. Cependant, cette technique peut devenir un risque pour la santé s’il cela devient une habitude. Il est mieux de restreindre l’excitation sexuelle si elle mène au point où l’éjaculation est imminente. De plus, une fois que les spasmes éjaculateurs ont commencé, le sperme est déjà sorti dans l’urètre et la technique de la pression sur le périnée ramène simplement le sperme dans la vessie.
Quelques praticiens, cherchant le meilleur des deux mondes, apprennent à contrôler leurs fonctions génitales au point où ils peuvent même réabsorber de nouveau le sperme éjaculé par le pénis. Cette technique yogique curieuse est appelée vajroli mudra et est décrite par exemple dans le Hatha Yoga Pradipika (III.83ff)., un manuel du quatorzième siècle sur le hatha yoga.
Le mérite de cet exercice m’échappe, parce que le système nerveux a déjà fait feu et ainsi la tension créatrice qui aurait pu servir de pont à l’extase a été perdue. La raison principale d’éviter l’orgasme est d’accumuler la force subtile ou l’énergie nerveuse appelée ojas, qui est gaspillée dès le moment de l’explosion nerveuse pendant l’éjaculation.
Selon Bhattacharya, une personne accumule trois unités d’ojas pendant la durée d’une vie 6. Cependant, pour atteindre la libération spirituelle suprême, cent unités sont nécessaires, ce qui signifie que cette accumulation doit se prolonger sur plusieurs existences. Bhattacharya ne fournit aucune source scripturale de cette déclaration et il peut bien s’être basé sur la tradition orale. D’autres écoles maintiennent qu’il est possible d’atteindre le but évolutionnaire le plus haut dans une seule vie. Autrement dit, il est possible de produire assez d’ojas par l’abstinence sexuelle et la pratique méditative pour fournir la base énergétique requise pour atteindre l’illumination suprême dans le laps de temps de sa vie présente.
Ceci dit, la technique vajroli représente une incompréhension malheureuse du mécanisme énergétique sous-jacent à la sexualité sacrée. L’accent, dans la plupart des écoles traditionnelles de Tantrisme, est sur l’éveil du potentiel érotique du corps sans risquer l’orgasme, qui ne fait que disperser l’énergie somatique et psychique.
Dans le néotantrisme en général, une attitude tout à fait différente prévaut. Non seulement les partenaires Tantriques sont instruits à s’exciter jusqu’à ce qu’ils soient près de l’orgasme, on s’attend à ce qu’ils réalisent un ou plusieurs orgasmes pendant chaque session. Ou ils sont encouragés à trouver le soulagement dans l’orgasme après s’être stimulés dans le but d’atteindre un état altéré de conscience, qui, à mon avis, va à l’encontre de l’objectif du rituel précédent.
Le rituel lui-même est réorienté en une chasse à l’expérience plaisante. Il y a aussi tendance à ajouter un aspect joueur à tout cela, avec les partenaires se taquinant et se titillant. Ceci n’a rien à voir avec le jeu d’amour du couple divin ; au contraire, cela éteint l’inspiration sacrée du mystère entier d’Éros.
Sexe océanique et transcendance extatique

À son mieux, la pratique populaire du néotantrisme mène à ce que le Psychiatre Stanislav Grof a étiqueté “le sexe océanique.” Explication de Grof :

Dans le sexe océanique, le modèle de base pour l'interaction sexuelle 
avec un autre organisme n'est pas celui d'une décharge de libération
et un relâchement après une période d'effort vigoureux, mais celui
d'un flux espiègle et mutuellement nourrissant d'un échange d'énergies
ressemblant à une danse. Le but est d'éprouver la perte de ses propres frontières,
un sentiment de fusionner et fondre avec le partenaire dans un état d'unité béate.
L'union génitale et la décharge orgasmique, bien que puissamment ressenties,
sont ici considérées secondaires au but suprême, qui est d’atteindre un état
transcendantal d'union des principes masculins et féminins...
Lorsque l’on a demandé à certains des sujets qui ont atteint cette forme
de sexualité quelle fonction a l'orgasme génital, ils ont répondu que
son but est "d'enlever le bruit biologique d'un système spirituel." 7
L’expérience sexuelle océanique est certainement supérieure à la brève ruée des sensations génitales de la sexualité conventionnelle. Néanmoins, cela ne doit pas être confondu avec la sexualité Tantrique. Grof a correctement distingué le sexe océanique de l’approche Tantrique, où la sexualité est simplement un véhicule pour une réalisation spirituelle plus élevée.
Le rituel sexuel Tantrique traditionnel connu comme “jumelage” [« twinning en anglais] (maithuna) est un moment sacré célébrant la transcendance de l’expérience. Puisque la condition extatique du bonheur n’est pas une expérience du tout, compte tenu que l’expérimentateur est un/une avec l’expérimenté. Dans l’état d’extase, la division entre le sujet et l’objet est abandonnée, de même que l’esprit conceptuel et l’ego-identité qui pourraient vouloir nager dans cet état.
Il apparaît que dans les cercles néotantriques la béatitude de l’Être est bien trop souvent confondu avec un état intensifié de plaisir sensoriel, peu importe si oui ou non l’orgasme génital est impliqué. Même si le plaisir a sa place dans l’ordre des choses, c’est s’enligner vers une grande déception que de penser qu’il peut soulager notre aliénation fondamentale du cosmos ou nous aider à surmonter notre crainte de base de la mort, ou nous mener à l’accomplissement spirituel permanent.
Le plaisir, comme la douleur, appartiennent au système nerveux. La béatitude appartient à un ordre entièrement différent d’existence. Ce n’est pas un sentiment ou une sensation, mais plutôt cette condition qui prévaut quand tous les sentiments et sensations aussi bien que toutes les pensées ont été éclipsées par la réalisation d’Être, à l’état pur. La vraie et extatique béatitude peut être ressentie par le corps, mais le corps, comme nous l’éprouvons d’habitude, n’en est pas sa source. Dans la condition extatique d’Être, le corps est révélé comme étant l’univers lui-même. Le cadre physique se révèle non pas comme solide, après tout, mais tel un océan énorme d’énergie dans lequel tous les corps sont connectés. Ainsi, on ne peut pas dire que la béatitude ait un emplacement ou une cause.
Les orgasmes génitaux ou les orgasmes de corps entier sont des phénomènes psychosomatiques, pas des manifestations spirituelles. La béatitude est “l’orgasme” éternel de Dieu et de la Déesse dans l’étreinte divine, au-delà de tous les concepts. C’est un plaisir ineffable et même en parler ou écrire sur ce sujet d’une façon si métaphorique est une distorsion de la vérité. Néanmoins, la parole peut être utile afin de nous donner un soupçon de ce qui se trouve au-delà des mots et des images – le bonheur d’Être, notre condition principale.

Le tantrisme n’est ni orgiaque, ni hédoniste en principe. Mais si le Tantrisme ne doit pas être confondu avec l’hédonisme, il ne doit pas aussi être confondu avec l’ascétisme. Alan Watts nous a fourni la définition très perspicace suivante du modus operandi Tantrique.

L'ascète et le sensuel confondent de la même façon la nature et "le corps" 
avec le monde abstrait des entités séparées. En s'identifiant avec l'individu
isolé, ils se sentent intérieurement incomplets. Le sensuel essaye de compenser
pour son insuffisance en extrayant le plaisir, ou la plénitude, du monde
qui semble être séparé de lui comme quelque chose de manquant.
L'ascète, avec une attitude de dépit, transforme en vertu ce manque.
Tous deux ont échoué à distinguer entre le plaisir et la poursuite de plaisir,
entre l'appétit ou le désir et l'exploitation du désir et de voir que le plaisir
satisfait n'est plus un plaisir. Car le plaisir est une grâce et il n'obéit pas
aux commandes de la volonté. Autrement dit, il est généré par la relation entre
l'homme et son monde. Comme l'intuition mystique elle-même, il doit toujours
venir non cherché, ce qui revient à dire que la relation ne peut être ressentie
entièrement que par un esprit et des sens ouverts et non agissant comme
des muscles voulant s’agripper.8
Le Néotantrisme et le piège de l’égo

Le néotantrisme est criblé “de la conscience fausse” de moyens et de buts. Le rituel sexuel, comme les autres méthodes Tantriques, est abordé comme un moyen ayant pour but des états ou expériences “plus élevées”. Mais cette orientation vers un but est ce qui condamne la tentative à l’échec. Les moyens et les buts appartiennent à l’ego, que nous sommes censés dépasser. Dans son livre le Souffle de Dieu, Swami Chetanananda a mentionné le cas d’un homme qui lui a dit avec agitation comment, durant l’acte sexuel, il avait ressenti “une montée d’énergie énorme” à sa tête et avait depuis essayé de revivre cette expérience en faisant l’amour chaque jour. Le Swami a répondu avec humour :

Dans l'ensemble des affaires religieuses, à maintes reprises vous trouverez 
cette tendance de voir tout le monde chercher quelque chose qui n'est pas là,
ou quelque chose qui signifie très peu même si c'est là. Voyez-vous le problème
inhérent à cette idée ? C'est un arrangement digne de Tom Sawyer et je parierais
que quelqu'un finira avec beaucoup de clôtures blanches.
Les praticiens sages se rendent compte que l’illumination, ou la réalisation de l’Être, ne peut pas être forcée. Tout effort ayant un motif égoïque sur le chemin spirituel est autodestructeur, parce qu’il mène à l’augmentation de l’égo plutôt qu’au dépassement de l’égo. L’idée que nous pouvons causer l’illumination devrait être la première à être jetée par-dessus bord ; souvent c’est la dernière. Comme Ananda Coomaraswamy a noté dans son bel (et maintenant considéré comme un classique) essai sur l’idéal Hindou-Bouddhiste de la spontanéité (sahaja), “Tout ce qui est le meilleur nous parvient de son gré en nos mains – mais si nous nous efforçons de l’attraper, il nous échappera perpétuellement.”10
Une évaluation critique du Néotantrisme
En indiquant les folies et dangers présents dans le néotantrisme, je n’ai pas l’intention de rejeter le mouvement dans son ensemble. C’est indéniablement devenu un facteur important dans la spiritualité émergente qui a une optique positive envers le corps. Il fournit du sens et de l’espoir pour ceux qui ont dépassé un puritanisme accablé de culpabilité et la sexualité conventionnelle. Il offre aussi une certaine base, ou sens d’appartenance, pour ceux qui pourraient autrement être culturellement et socialement à la dérive. Ainsi, on promet aux candidats éventuels d’un cercle Tantrique, “vous ne serez jamais de nouveau seuls,” “vous aurez des amis aimants et du support,” “un but dans la vie,” et “réaliserez l’égalité complète avec le genre opposé.”11
Pour beaucoup de personnes, ce sont bien sûr des idéaux désirables. Cependant, ils ont peu en commun avec la vie spirituelle, qui est à propos d’apprendre à vivre de la plénitude du Divin afin qu’il n’y ait aucune crainte d’être seul et aucune peine de manquer d’amis ou de n’avoir aucun but particulier, ou, à cet égard, de vivre des inégalités dans divers aspects de la vie. Un environnement agréable et de soutien est important particulièrement pour les débutants spirituels. Mais il y a aussi le danger de tourner cela en une fausse réalité. Il y a clairement des avantages spirituels à tirer d’une vie à l’extérieur d’un cloître ou groupe protecteur, où nous devons confronter – et apprendre à trouver le Divin dans – le monde réel.
L’utilité ultime du néotantrisme dans le processus actuel de réévaluation du corps humain sexué comme base d’une vie spirituelle dépendra de deux facteurs corrélés : d’abord, si ses adhérents peuvent surmonter leur mentalité consumériste Occidentale avec son inclination pour la satisfaction instantanée, les trucs et le narcissisme; et, deuxièmement, s’ils peuvent vraiment récupérer en eux un sens sincère du sacré et des ineffables mystères qui ne sera pas compressé dans des formules commodes, des systèmes de croyance tout faits, ou des rituels élégants. Le chemin est le Mystère lui-même.
Georg Feuerstein
————————————————————————————————–
Traduction : Stéphane Richer, Centre Summum
À cet article j’ajouterais quelques bémols :
1. L’auteur semble être contre une « tendance à ajouter un aspect joueur » ce qui me semble aller à l’encontre de nombreux points de vue qui considère en fait que le jeu a définitivement sa place dans le panthéon des attitudes divines
2. L’auteur aussi semble est contre la pratique de « s’exciter jusqu’à ce qu’ils soient près de l’orgasme ». Ce qui aussi a été souvent décrit non seulement dans le néotantrisme mais dans bien des anciens textes sacrés. Chevaucher le tigre était une image utilisée pour indiquer un moment difficile à tenir dans l’acte sexuel dans le taoïsme sexuel chinois par exemple. Oui je dois avouer que d’avoir la capacité de demeurer près de l’orgasme (de chevaucher le tigre) n’est pas une habileté naturelle ou facile et possiblement que cette méthode ne devrait pas être suggérée à tout le monde sans préparatifs.
3. L’auteur fait une description de ce qu’il (et plusieurs texte) appelle le vajroli mudra. Ce nom est aussi associé à d’autres pratiques moins sombres comme entre autres le fameux 6e rite tibétain qui n’a rien à voir avec une réabsorption du liquide séminal par le pénis.
————————————————————————————————–

Notes de références :

  1. This and all subsequent translations from the Sanskrit are my own.
  2. G. and Y. Frost, Tantric Yoga: The Royal Path to Raising Kundalini Power (York Beach, ME: Samuel Weiser, 1989), p. xxi.
  3. C. Trungpa, Cutting Through Spiritual Materialism (Boulder, CO: Shambhala, 1973), p. 15.
  4. B. Bhattacharya, The World of Tantra (New Delhi: Munshiram Manoharlal, 1988), p. 32.
  5. A. Bharati, The Tantric Tradition (London: Rider, 1965).
  6. B. Bhattacharya, op. cit., p. 377.
  7. S. Grof, Beyond the Brain: Birth, Death and Transcendence in Psychotherapy (Albany, NY: SUNY Press, 1985), pp. 228-229.
  8. A. Watts, Nature, Man and Woman (New York: Vintage Books, 1970), pp. 187-188.
  9. Swami Chetanananda, The Breath of God (Cambridge, MA: Rudra Press, 1973), p. 56.
  10. A. Coomaraswamy, The Dance of Shiva: Fourteen Indian Essays (Bombay: Asia Publishing House, 1948), p. 147. 11. See G. and Y. Frost, op. cit., p. xix.
————————————————————————————————–
Remarques de Nelly Germain :
Merci à l’auteur de ce texte initialement en Anglais : Georg Feuerstein. Je plussoie 97% de ce qui y est écrit et me permets de développer ci-dessous ce qui diverge entre nos points de vue.
Merci au traducteur : Stéphane Richer, dont les bémols me plaisent aussi.
Ce que j’y lis me parle et me touche. Et je désire poser à mon tour des mots sur mes ressentis quant au contenu de cet article (version française).
1. Il m’a, dans un premier temps, été difficile d’accepter la toute première caractéristique posée au Tantrisme : la nécessité d’un gourou. En effet, le terme est galvaudé en Occident, par des histoires de personnes qui ont pris le pouvoir sur d’autres en leur faisant miroiter une élévation spirituelle… Le mot « gourou » est associé aux sectes, à la coupure avec son Etre libre, à la fermeture, à l’enfermement…
Lorsque l’on considère la racine du terme (du sanskrit गुरु guru) signifiant « enseignant », « précepteur », « maître », « professeur », « de l’ombre à la lumière »… c’est bien sûr plus doux et acceptable pour moi.
Néanmoins, je ne me prétends pas enseignante non plus : plutôt animatrice, accompagnatrice, initiatrice, guide sur un petit bout du chemin vers soi (en chemin moi-même bien sûr). En effet, si j’enseigne quelque chose, c’est seulement l’acceptation de ce qui est, d’aller un peu plus au contact du soi authentique, en présence de son intériorité, de vivre un peu plus fluidement, simplement, doucement, en relation, en amour… vivre et laisser faire… faire et laisser vivre… bref : trouver et retrouver sans cesse un équilibre satisfaisant et savoir trouver ce dont l’Etre a besoin.
Le Namasté (j’honore le Divin/le Sacré en toi) remet chacun.e à sa place : c’est le mental qui croit savoir plus que l’autre, qui croit pouvoir sauver l’autre inconscient… Je sais que les pratiquant.e.s qui viennent à mes stages m’apprennent autant que je leur apporte.
Vivre le Tantra, c’est selon moi aussi un équilibre permanent de donner-recevoir ; la circulation énergétique est fluide.
2. Je n’utilise en fait jamais le terme Tantrisme : je lui préfère celui de Tantra, qui à mon sens ne fait pas référence à une religion ni à des listes d’autorisations et d’interdictions. Tous les -ismes m’inquiètent ; ce suffixe étant celui rattaché aux doctrines, dogmes, idéologies, théories, souvent bien loin de l’essence de l’humain.
En fait, c’est là la même racine de méfiance que celle qui m’éloigne du terme de gourou.
A mon sens, si authentique gourou il y a, ce n’est pas à lui.elle de se poser en tant que tel : c’est la vie, sa vie qui l’y place naturellement.
3. J’apprécie la remarque de Stéphane Richer sur la place du jeu dans le Tantrisme.
En effet, refuser le jeu et le plaisir est une prise position ascétique, qui nous place dans le genre de vie que je ne souhaite à personne : il faudrait donc du labeur quotidien, sans joie sauf en cas de masochisme, pour évoluer à force de travail. Voilà qui me rappelle les heures sombres de certaines religions détournées par le patriarcat pour asservir des humains-moutons.
Il m’apparaît salvateur d’utiliser beaucoup, souvent : l’humour et les aspects ludiques de ce qui se déroule dans nos vies. Comme les bébés et enfants apprennent par le jeu et une part de transgression, pour pouvoir vivre leurs propres expériences qui deviendront des connaissances intégrées, les adultes ont besoin de dynamiser leurs sens, leurs émotions, leurs pensées… par l’intérêt autre que « il faut que » : celui qui fait du bien parfois, qui ancre bien plus sûrement que des croyances théoriques. Dans les stages que j’anime ou co-anime, c’est de l’expérience que découlent les théories, toujours ouvertes à changements par l’expérience suivante, par la complémentarité de ce que l’autre a vécu dans les mêmes conditions…
En effet, savoir relativiser, savoir prendre un autre angle de vue que celui du subissant, de la victime, c’est nécessaire pour ne plus être l’objet du destin : devenir sujet de sa propre vie. D’où l’importance de l’humour, du décalage, que j’apprécie comme des cadeaux de l’esprit.
Légèreté et profondeur vont de paire, ainsi que douceur et force.
4. Lorsqu’il est question d’orgasme dans le texte, il y a amalgame avec l’éjaculation et le plaisir.
Or il m’apparaît fondamental de parler de sexualité physique humaine avec beaucoup de précautions et de précisions. Ne pas confondre : orgasme, orgaste, plaisir, jouissance, climax, éjaculation, rétro-éjaculation, satisfaction, orgasme de la vallée, orgasme du plateau, orgasme du cœur, orgasme génital, orgasme de contraction, orgasme d’expansion, montée de kundalini, érection, excitation…
Lorsque je parle de « sexualité sacrée », il s’agit de relations à tous les niveaux de l’humain : corps-coeur-esprit (autrement dit pour certain.e.s : corps-esprit-âme ou corps physique-corps émotionnel-corps psychique, etc), et non de pratiques génitales. Le sexe représente un centre particulier de l’humain, né du sexe, par le sexe, pour le sexe, défini avant tout par son sexe ; sa santé et ses troubles rejaillissent sur sa vie sexuelle. Un apprentissage fondamental du Tantra est de savoir s’écouter et cela passe par se poser dans son propre sexe aussi, s’ouvrir à son langage et à son utilité bien au-delà de la fonction reproductrice et de la fonction plaisir… (
Ce que je comprends du Tantra, c’est que le sexe est aussi une porte pour l’élévation spirituelle (vers le ciel, l’univers) tout en restant ancré dans le corps-terre. Cette fonction est aussi existante dans le centre du cœur bien sûr. Et s’il est une recherche tantrique, c’est celle de la circulation entre le cœur et le sexe.
Une précision utile : la voie de la sexualité sacrée est ouverte aux individuels, hommes et femmes, et les pratiques sexuelles ne sont en aucun cas un passage obligé (et ne sont jamais proposées lors de nos stages hors stages spécifiques couples). L’énergie n’a pas besoin de coït pour circuler.
A propos de la fonction plaisir, ça vaut le coup de la développer (si ce n’est pas pour fuir sans cesse ce qui est). Je m’explique : pour moi, c’est un réel et profond plaisir d’avoir l’impression d’apprendre une subtilité, de savourer ce que mes sens me permettent de sentir, d’avoir la sensation que mon cœur va fondre d’amour et de gratitude… Vivre avec plaisir au quotidien, se focaliser sur ce qui fait du bien pour se ressourcer lorsque tout semble vriller autour de soi, c’est juste honorer la vie et les belles compétences humaines.
Ouiii au plaisir !
5. Néotantrisme
C’est peut-être là la différence entre Tantrisme et Néotantrisme : la place du plaisir.
Je dis cela dans l’instant sans vraiment savoir, mais je suppose que mes propositions font plutôt partie de ce qui est appelé néotantrisme : plutôt éloigné des premières méthodes répertoriées dans la vallée de l’Indus, et acceptant dans mes stages aussi des personnes attirées a priori pour vivre plus agréablement leur vie. Il me semble que le plaisir une bonne carotte pour avancer ; et le cadre étant posé, chacun.e trouve sa place sans imposer ses vues aux autres, et peut donc évoluer librement dans son système de pensées.
Je suis ouverte à la discussion sur le sujet, et en même temps je ne vois pas l’intérêt de mentaliser outre mesure ni batailler sur des mots. Quoiqu’il en soit, les mots sont précieux et toujours limitants ; en plus tous sont interprétables à volonté. Or ce n’est pas à la volonté que j’avance mais à la motivation : si ça me parle, si je le sens.
Ceux.celles qui ne se reconnaissent pas dans ce que je propose ont sûrement d’autres voies qui les attendent, et c’est ok pour moi : à chacun.e son rythme, ce qui attire/repousse/laisse neutre… Et à chaque instant accueillir ce qui est, ce qui naît et meurt, avec la conscience que tout .
Je me demande si cette façon de scinder Tantrisme et Néotantrisme peut se référer de la même façon au Tantra blanc (qui serait plus en relation avec les bases indiennes) et Tantra rouge (qui serait ce qui a été plus accessible aux Occidentaux et présenté en particulier par Osho).
Je ne pense néanmoins pas renommer le blog www.tantra-sudouest.comen www.neotantra-sudouest.com. C’est le terme Tantra qui m’a attirée sans que je sache du tout ce qui s’y vivait, et j’ai été guidée vers les bonnes personnes pour moi. Probablement en est-t-il de même pour ceux.celles qui me font confiance : les synchronicités sont d’étonnants moteurs pour ceux.celles qui savent les voir.
A mon sens, le Tantra est dans le cœur de chacun.e et certain.e.s le vivent au quotidien sans jamais avoir fait un stage : en étant en lien avec leur intériorité, avec les éléments, avec les autres, dans l’amour… D’autres ont besoin d’être orienté.e.s, de réactualiser régulièrement… Je me reconnais dans ces deux cas.
Il ne saurait y avoir de jugements ni de systèmes de valeurs dans le Tantra : comme dans un cœur immense, nous y sommes tou.te.s accueilli.e.s tel.le.s que nous sommes et la transcendance se fait par petites touches ou tout d’un coup et puis retour « en arrière » : rien n’est jamais acquis pour toujours, rien n’est jamais perdu à jamais.
Vacuité, impermanence, permanence du Sacré…
Namasté

Centre de préférences de confidentialité

Necessary

Advertising

Analytics

Other