Osho, peux-tu nous parler de la différence entre « la liberté pour » et de « la liberté de » ?

La « liberté de quelque chose » est ordinaire, mondaine. L’homme a toujours essayé d’être libre de certaines choses. Ce n’est pas créatif. C’est l’aspect négatif de la liberté. La « liberté pour quelque chose » est au contraire la créativité. Vous avez une certaine vision que vous souhaiteriez matérialiser et vous voulez avoir la liberté de le faire.

La « liberté de quelque chose » provient toujours du passé alors que la « liberté pour quelque chose » est orientée vers l’avenir.

La « liberté pour quelque chose » a une dimension spirituelle car vous avancez dans l’inconnu et peut-être qu’un jour vous irez même dans l’inconnaissable. Cette liberté va vous donner des ailes. La « liberté de quelque chose » peut au mieux vous retirer les menottes des mains. Et sachez que ce n’est pas toujours bénéfique, l’histoire de l’humanité en est la preuve. Les gens n’ont jamais pensé à la seconde liberté sur laquelle j’insiste.

Ils ne pensent qu’à la première forme de liberté parce qu’ils n’ont pas pris conscience de la seconde. La première liberté est visible : ce sont les chaînes à vos pieds et les menottes à vos mains. Vous voulez en être libre mais ensuite, qu’allez-vous faire de vos mains libres ? Il est fort possible que plus tard vous regrettiez d’avoir demandé la « liberté de ».

Cela c’est d’ailleurs produit à la prison de la Bastille pendant la révolution française. Cette prison était la plus réputée de l’époque, elle était réservée à ceux qui étaient condamnés à perpétuité. Vous ne sortiez jamais vivant de cette prison. Une fois que quelqu’un de nouveau était incarcéré, les gardiens, paraît-il, , jetaient même les clés de la cellule au fond d’un puit qui se trouvait dans l’enceinte de la Bastille. Ils savaient que les serrures ne seraient plus jamais utilisées. Il y avait plus de cinq mille prisonniers dans cette prison et en général ils ne sortaient jamais vivants de leur cellule alors pourquoi garder autant de clés ?

Les révolutionnaires français ont pensé bien sûr que la première chose à faire seraient de libérer les prisonniers de la Bastille. C’est inhumain de mettre quelqu’un dans une petite cellule sombre jusqu’à sa mort et cela quelque soit ce qu’il ait fait. Ils pouvaient rester enfermés cinquante ou même soixante ans. Une telle attente est une immense torture pour l’âme. Ce n’est pas une punition, c’est de la vengeance pure. Les gens ont toujours aimé se venger contre ceux qui transgressent les lois. Souvent la punition est sans commune mesure avec les actes mis en cause.

Les révolutionnaires se sont donc empressés d’aller ouvrir les cellules pour faire sortir les prisonniers ; Et à leur grand étonnement, la plupart ne voulaient pas sortir de leur cachot.

Vous pouvez comprendre pourquoi. Une personne qui a vécu pendant soixante ans dans l’obscurité ne peut plus supporter le soleil. Elle ne veut plus s’exposer à la lumière. Ses yeux sont devenus très délicats. Et puis pourquoi faire ? Elle a maintenant quatre vingt ans. Quand elle est entrée dans la prison, elle en avait vingt. Toute sa vie s’est passée dans une petite cellule obscure. C’est devenu en quelques sorte sa maison.

Et donc quand les révolutionnaires français sont arrivés pour libérer les prisonniers. Ils ont brisé leur chaînes et leurs menottes puisqu’il n’y avait pas de clés. Mais les prisonniers étaient très résistants, ils ne voulaient pas quitter la prison. Ils ont alors dit , « Vous ne comprenez pas notre situation. Un homme qui a été soixante ans dans cette prison, que fera-t-il à l’extérieur ? Qui va lui donner de la nourriture ? Ici, la nourriture lui est donnée et il peut se reposer en paix dans sa petite cellule obscure. Il sait qu’il est presque mort. Dehors, il ne pourra pas retrouver sa femme ou savoir ce qu’il s’est passé depuis toutes ces années. Ses parents doivent être déjà morts. Ses amis sont peut-être aussi morts ou ils l’auront complètement oublié. Et personne ne va lui donner du travail. Qui veut d’un homme qui n’a pas travaillé pendant soixante ans ? Et surtout d’un homme qui sort de la prison de la Bastille là où les plus grands criminels se trouvent ? Rien que de prononcer le mot « Bastille » suffira pour se voir refuser n’importe quel travail. Pourquoi essayez-vous de nous forcer à sortir ? Où est-ce que nous allons dormir ? Nous n’avons pas de maison. Nous avons presque oublié les lieux où nous vivions. Et depuis d’autres personnes doivent vivre là où nous étions. En soixante ans, le monde a sûrement changé, nous ne pourrons pas nous adapter. Ne nous torturez pas une fois de plus. Nous avons été suffisamment torturé. »

Et quelque part, ce que disaient les prisonniers était tout à fait compréhensible. Mais les révolutionnaires sont des gens têtus. Ils n’ont pas voulu écouter. Ils ont forcé ces hommes à sortir de la Bastille mais le soir même, presque tout le monde était déjà revenu. Ils ont dit : « Donnez-nous s’il vous plaît quelque chose à manger, nous sommes affamés. »

Quelques uns sont revenus en plein milieu de la nuit et ils ont dit : « Rendez-nous nos chaînes car nous ne sommes pas capables de dormir sans elles. Nous avons dormi pendant des dizaines d’années avec ces chaînes et ces menottes et aujourd’hui elles sont devenues un peu comme une partie de notre corps. Nous n’arrivons pas à dormir sans ces chaînes. Nous voulons retourner dans nos cellules, nous y étions parfaitement heureux. Ne nous imposez pas votre révolution. Nous sommes de pauvres gens. Vous pouvez faire votre révolution ailleurs que dans cette prison. »

Les révolutionnaires n’en croyaient pas leurs yeux. Mais, cet incident montre que « la liberté de quelque chose » n’est pas nécessairement une bénédiction.

Vous pouvez voir que ceci est vrai dans le monde entier. Certains pays se sont libérés de l’empire britannique , d’autres de l’empire espagnol ou encore portugais par exemple. Mais souvent leur situation est encore bien pire que lorsque ils étaient des colonies. Les gens s’habituent à l’esclavage. Ils abandonnent leurs ambitions et acceptent leur situation comme leur destin.

La liberté qui affranchit d’une forme d’esclavage crée simplement du chaos.

Toute ma famille fut engagée dans la lutte pour l’indépendance de l’Inde. Ils ont tous été en prison. Leur éducation a été fortement perturbée. Aucun n’a pu obtenir des diplômes à l’université car ils ont tous étaient arrêtés avant de passer les examens. Un de mes oncles a fait trois ans de prison, et un autre quatre ans. Et ensuite, il était trop tard pour reprendre des études de nouveau. En plus, en prison, ils avaient rencontré tous les grands chefs de la révolution. Toute leur vie était désormais dévouée à la révolution.

J’étais encore très jeune à ce moment-là mais je me rappelle que j’argumentais déjà avec mon père et mes oncles. Je leur disais : « Je peux comprendre que l’esclavage est horrible et que cela vous déshumanise, vous humilie, vous dégrade par rapport à votre qualité d’être humain. Et je peux comprendre que vous vouliez vous battre contre cette injustice. Mais ma question est la suivante : qu’allez-vous faire lorsque vous serez libre ? Vous savez vivre dans l’esclavage, est-ce que vous savez vivre dans la liberté ? Dans l’esclavage, un certain ordre est maintenu sinon, vous êtes arrêté ou tué. Savez-vous que dans la liberté, il en sera de votre responsabilité de maintenir l’ordre ? Personne ne vous tuera et personne ne sera responsable pour vous. Est-ce que vous avez demandé à vos dirigeants pour quoi la liberté sera-t-elle faîte?

Et je n’ai jamais reçu aucune réponse. Ils ont dit : En ce moment, nous sommes tellement occupés à nous débarrasser de l’esclavage, de l’oppresseur que nous verrons plus tard, ce que nous ferons avec la liberté. »

J’ai répondu : « Votre attitude n’est pas scientifique. Si vous détruisez votre vieille maison, vous devriez déjà savoir ce que vous allez faire ensuite à cet endroit.

Il vous faut préparer les plans de la nouvelle maison. Il est préférable de préparer le projet de la nouvelle maison car sinon ensuite vous serez sans maison et vous souffrirez inutilement. Car, il est évident qu’il vaut mieux avoir une vieille maison que de ne pas en avoir du tout ! »

Des grands chefs de la révolution venaient parfois visiter ma famille. Et c’était toujours mon argument. Et je n’ai jamais trouvé un seul révolutionnaire qui puisse m’expliquer ce qu’ils allaient faire de la liberté.

La liberté est finalement arrivée avec l’indépendance du pays et que s’est-il passé ? Les hindous et les musulmans se sont entretués par millions. Jusqu’à présent ils avaient été sous le contrôle des forces britanniques. Dès que les britanniques se sont retirés de l’Inde, des émeutes confessionnelles ont commencé. La vie est alors devenue soudainement très dangereuse. Des villes entières étaient en feu, des trains étaient attaqués et les gens brûlés vifs.

J’ai alors eu cette réflexion : « C’est quand même étrange. Sous l’esclavage, il n’y avait pas de tels problèmes et maintenant que la liberté est là, la violence est partout. La raison simple : c’est que les gens n’étaient préparés à vivre cette liberté.

Les divisions du pays sont soudainement apparus avec d’un côté les hindous et de l’autre les musulmans. Personne n’y avait pensé. Et puis tous ces révolutionnaires étaient devenus des spécialistes de la résistance. Ils savaient faire exploser les ponts, détruire les prisons et tuer les militaires de la force occupante. Mais leur expertise n’avait rien à avoir avec ce qu’il faut savoir pour reconstruire un nouveau pays.

Mais, c’est ça la révolution ! Les gens se battent violemment pour obtenir quelque chose. Ils réussissent et le pouvoir est alors entre leurs mains. Mais, ensuite, ils ne savent pas quoi en faire.

Il ne faudrait jamais donner le pouvoir à un révolutionnaire parce que le révolutionnaire sait comment saboter un système mais il ne sait pas comment créer un nouveau système. Il ne connaît que la destruction. Il faudrait en réalité simplement le remercier pour son action de résistance puis ensuite l’écarter du pouvoir.

Il faut au contraire trouver les gens qui soient positivement créatifs et ceux-là ne participent jamais aux révolutions.

C’est une question délicate car les personnes créatives sont intéressées par leur créativité et non pas par celui qui dirige le pays. Quelqu’un doit forcément diriger le pays que ce soit les indiens ou les britanniques. Et pour la personne créative, peu importe qui organise le pays. Et c’est pourquoi ils ne participent pas aux révolutions. Mais du coup, les révolutionnaires ne veulent jamais que les personnes créatives aient une partie du pouvoir une fois la révolution achevée. Ils n’ont pas participé à la révolution, pourquoi devraient ils obtenir une partie des pouvoirs ?

C’est ainsi que toutes les révolutions ont à chaque fois échoué. Et la raison est que ceux qui ont fait la révolution n’ont qu’un type de compétence et les personnes qui sont-elles capables de créer un nouvel ordre social, un nouveau pays et de responsabiliser les gens appartiennent à un autre groupe. Les personnes créatives ne participent pas à la destruction, au meurtre. Mais, du coup, ils ne peuvent pas accéder au pouvoir. Le pouvoir tombe dans les mains de ceux qui ont combattu. Donc, naturellement, toute révolution échoue forcément tant que je viens de dire n’a pas été clairement compris.

La révolution a deux étapes et il faudrait en fait deux types de révolutionnaire. Le premier qui lié à la « liberté de quelque chose ». Et puis un second qui travaillerait lorsque le premier a achevé son travail. Le second serait quand à lui lié à la « liberté pour créer quelque chose ». Mais, une telle combinaison, un tel partenariat est difficile à réaliser. Qui peut organiser une telle coopération ? Les gens ont une telle soif de pouvoir. Quand les révolutionnaires sont victorieux, ils s’approprient le pouvoir. Ils n’ont pas la sagesse de le donner à quelqu’un d’autre et c’est ainsi que le pays tombe en général dans le chaos. Et ensuite chaque jour, la situation se dégrade peu à peu dans tous les domaines.

C’est pourquoi je ne suggère pas de faire la révolution. J’enseigne au contraire la rébellion spirituelle. La révolution est faite par la foule. La rébellion est faîte par l’individu. C’est l’individu qui se change lui-même. Il ne préoccupe pas des structures du pouvoir. Il met son énergie dans la transformation de son être pour donner naissance à un nouvel homme. Et si le monde entier passe par cette rébellion spirituelle, alors peut-être que le monde changera…

Ce qui est merveilleux au sujet de la rébellion c’est que les deux types de révolutionnaires peuvent y participer. Car dans la rébellion, il faut à la fois détruire et construire en même temps. Certaines choses doivent être détruites pour pouvoir créer ensuite. Donc, la rébellion a un attrait pour tout le monde, ceux qui sont intéressés par la destruction et ceux qui sont intéressés par la créativité.

La rébellion n’est pas un phénomène de masse, c’est de votre propre individualité dont il est question. Et si des millions de personnes passent à travers cette rébellion spirituelle, alors le pouvoir des pays, des nations, sera dans les mains de ces personnes qui sont des rebelles. La révolution ne peut réussir que dans la rébellion. Sinon, la révolution reste profondément divisée.

La rébellion est une, unie.

Extrait de « La Liberté Le courage d’être soi-même » – Les éditions Jouvence

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